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Vegie, huile sur papier, 50 x 65cm, 2009 (détail)

Imprimé à 300 ex. à l’occasion de l’exposition de Pierre Moulin «Ceci n’est pas un exercice!» dans l’Orangerie, espace d’art contemporain du Centre culturel de Bastogne en avril 2010 avec l’aide de la Communauté française de Belgique

L'espace pictural

Il faut d’abord construire avec des miels, de l’huile de vidange, de la boue. Pour donner du corps à la lumière, l’écœurer, la souiller un peu. Prendre son courage à une main et aller fouiller cette mare sans fond qu’est la peinture. Tracer des plans sur cette comète, arpenter le vide, endiguer le temps, histoire de se frayer un chemin dans toute cette huile, cette collection de glacis accumulés depuis le fin fond des Flandres. Naviguer entre les météores, jongler avec elles s’il le faut, échapper au désastre d’un art impossible à mettre en mots. Au risque de scier les filins de la perspective, écraser le modelé, fondre les clairs et les obscurs, briser le trompe-l’oeil en mille morceaux. Prendre l’avion en marche, dans cette promiscuité des symboles, la confusion des genres. S’adapter à la vitesse de ce temps particulier, ouvrir les yeux dans ces eaux poisseuses. Etayer les brouillards, dissoudre les systèmes, forcer l’oeil à réfléchir, manipuler l’invisible. Diriger l’engin, avec des gestes justes, au doigté, mettre la main à la pâte pour donner l’illusion d’un réel palpable, pourtant impossible à fixer dans son boîtier de verre. Se prendre pour Dieu en quelques coups de pinceau et arrêter le temps grâce à quelques artifices, un tour de passe-passe ouvragé dans cet incroyable spectacle de magie. Mais la machine infernale avance sans nous, sans pitié ni compassion, recluse en sa carlingue liquide, avec ses sales manières de bombardier, son éducation belliqueuse, ses calculs d’épicier. Et puis l’on commence à décrypter le mode d’emploi, le geste se fait plus précis, il suffit d’appuyer sur les bons boutons au bon moment. Et la caresse d’un levier nous projette dans l’espace infini de la peinture qui s’était dissimulé derrière la surface de toile. Alors on soupèse quelques cosmogonies, comme dans un rêve expansé, le jour est gris clair, les augures clignent. On croit un instant au miracle entre deux corvées de Sisyphe. Ce que l’on prenait pour un mur s’entrebâille en une profondeur insoupçonnée. Et dire que tout était là, à portée de pinceau, dans l’univers minuscule de notre tête, cette bouilloire en fer blanc au contenu en jachère jamais vraiment archivé. Cette boîte de Pandore qu’il faut avoir le courage d’ouvrir si l’on veut accéder à la saine gymnastique des métaphores. L’on ne sait plus qui l’on est, ni quand, encore moins où. On se replie entre deux plans, on se réchauffe entre deux plis de l’espace infini de la peinture. On erre comme un spectre dans les deux dimensions sacrées, aux portes des nues au risque d’en choir. Et l’on découvre le temps d’une couleur posée les sens d’illumination, à cheval entre le clair et l’obscur, chiens et loups métaphysiques. Et l’on a enfin accès l’espace d’un instant au fond de notre pensée, cette image panoramique blottie derrière l’oeil, ce paysage insensé dont on ne connaît encore que le seuil. François Liénard

 

 

Pierre Moulin (Tournai, 1968) vit et travaille à Saint-Léger (Châtillon). Pierre Moulin est peintre et graveur. Il a fait des études de jazz au Conservatoire Royal de Bruxelles et a poursuivi des études artistiques aux Académies des Beaux-Arts de Bruxelles et d’Arlon en dessin, peinture et gravure. Premier contact avec la peinture à l’âge de 14 ans.

François Liénard (Texas, 1967) vit et travaille à Bruxelles. François Liénard est organisateur d’expositions avec le Chalet de Haute Nuit (1994-2008), éditeur de L.E.Q.C.D.N.A.C.P. (Les Editions Qui Changent De Nom A Chaque Parution) depuis 2001, professeur d’esthétique aux Académies d’Ixelles et d’Arlon. Ecrit sur l’art depuis 1992.