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L'origine du monde
Vue de l'exposition
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Philibert Delécluse, les pièges de la mesure

Philibert Delécluse a une préférence pour des thèmes francs et nets: le cyclisme, les travaux publics et les bulldozers, la randonnée. Mais il s’exprime toujours avec mesure et pondération. Bien que sa thématique soit réaliste, l’artiste exprime toujours une volonté limitée de réalisme. Ses images sont loin de l’hyperréalisme neutre lié à la technologie naissante des années soixante, également éloignées de l’art numérique actuel, dont l’usage ne constitue qu’une étape intermédiaire dans la réalisation de ces icônes modernes. Ce qu’il peint n’a que l’aspect faussement désuet des images d’Epinal, et traduit ses préférences pour l’illustration, la bande dessinée, le dessin animé. Ce qu’il met en scène, ce sont de vrais faux reportages, à l’instar des enfants: lorsque nous jouions avec des figurines de coureurs cyclistes, de soldats, d’indiens, des petites voitures vivant de folles aventures dans des décors en papier mâché, des tas de sable-Sahara, des caniveaux-fleuves… mais la naïveté de l’imaginaire enfantin est vite dépassée par la culture de l’artiste. L’image comporte des pièges inhérents à sa facture assez complexe pour nécessiter quelques explications. Etudiant dans les années 80 d’une abstraction à bout de souffle, il se tourne rapidement vers l’étude des procédés anciens. En peignant sur des couches de résine épaisse, il crée des plans superposés qui donnent à ses œuvres une profondeur et un aspect diffus qu’il n’abandonnera plus. Son goût pour le cyclisme et ses icônes, le conduit en 1997 à la série “Le vélo dans la tête”. Il photographie des figurines de héros de la “petite reine” d’antan, achetées au hasard d’une brocante, les met en scène sur des fonds de carton, photographie, scanne, agrandit, maroufle et peint sur ses résines avec le “flou de bougé” juste nécessaire pour nous persuader que nous assistons au reportage d’un véritable tour de France, d’une étape de montagne, d’une arrivée au vélodrome. Il a noué le lien entre les artifices imaginaires de l’enfance et ceux, techniques, de l’artiste.

Fidèle à cette poétique, il limite volontairement ses matériaux de base et les mêle. Il enchaînera des variations sur des thèmes précis où vont dominer géants et randonneurs, vivant toutes sortes d’aventures sur des arrière-plans très prégnants et significatifs. Les “géants dans la ville” entretiennent des rapports de couple ombrageux sur un fond de ville dévastée, renouant avec la bédé de science-fiction des années cinquante. L’arrière-plan, décor naturel urbain à peine manipulé, donne l’orientation tonale et générale de l’œuvre, permettant à l’artiste de se concentrer totalement sur la peinture. Car peintre, Philibert Delécluse l’est avant tout. Tout son travail est une réappropriation du plaisir de l’acte de peindre. Preuve: “L’origine du monde" de Courbet, mille fois interprété par les philosophes et abusé par les artistes conceptuels, devient sous son pinceau le décor jouissif sur lequel évolue le Randonneur. Par la transposition d’échelle qu’il lui fait subir, le centre optique du célèbre tableau se transmute, selon le regard, en prélude de tornade ou en olivier paisible de paysage toscan. C’est réellement ce que vous voyez. C’est le piège que vous tend l’artiste. Le Randonneur est un Tintin reporter muet. Il laisse parler la peinture sans idéologie. Il arpente inlassablement des paysages célèbres ou dérisoires, obscurs ou clairs, vides et pleins… Il est un randonneur, il traverse sans parti. Il est un témoin. Georges Fontaine