Aurore Dal Mas °1981 (B)
Belgo-italienne, j’ai obtenu un Master en Photographie à La Cambre (Bruxelles).
Mon travail se focalise sur les mouvements indicibles, les forces naturelles, les relations de désir et l’autoportrait. Je travaille avec des images souvent sombres, dégagées du quotidien, qui se gardent de donner trop de réponses ou d’affirmer franchement, préférant questionner la nature humaine, attirer pour mieux se dérober, pénétrer pour mieux infuser.
Pour moi, la photographie reste quelque chose d’instinctif; le commencement d’un travail provient toujours d’un désir inexpliqué, d’un accident, d’une surprise. J’ai une tendance à me focaliser plutôt sur mes sensations que sur les sujets. Je ne me suis jamais vraiment souciée des personnes que je photographie, je dois dire. Tout, y compris moi, est là pour servir. Il n’y a, quand je prends une photo, pas de bon endroit ni de bon moment. Je suis l’endroit et le moment – mon travail est d’être prête. Ce qui m’intéresse c’est comment, par l’image, je peux transformer les choses pour leur donner plus de sens, transformer la matière. Je crois que nous ne sommes toujours qu’un amas de cellules réagissant au plaisir ou au déplaisir – et ça me convient de parler à cette partie de nous-même. Mais je cherche aussi à comprendre plus profondément ce que sont l’image et la beauté. Je vois la photographie comme le medium du désir, qui est une porte ouverte sur nous-même et sur la condition humaine. Déserts est parti d’une volonté d’observation du corps masculin. Après une recherche plus esthétique se concentrant sur un corps de femme pour la série Figures, j’ai voulu voir quel désir peut susciter le corps d’un homme. Visages coupés, noircis, anonymes, que projettent alors ces corps comme image?
La technique semblait facile: rencontrer n’importe qui par écran interposé et prendre des photos. Mais il a d’abord fallu convaincre. La plupart des sujets ont accepté pour « faire plaisir », éventuellement pour « l’expérience ». Aucun ne s’est senti flatté. Un homme n’est pas son corps? La technique était aussi plus torve: pas de jolie lumière, pas d’apprêt, pas de critère de sélection. Juste une observation, sans les connaître. Entrer chez eux, dans leur salon, leur chambre, virtuellement, et les laisser devant un écran noir, parfois. Déserts est pour moi cette boîte d’observation qui transforme le banal en fiction, la photo en surface de projection. Son complément est une série de textes courts, histoires possiblement vécues, hors contexte. Ce contexte qui nous permettrait de comprendre, juger ou humaniser est absent. Le désert ne nous renvoie qu’à nous-même, à notre propre expérience, à nos désirs, dégoûts, limites, valeurs. Ce sont des histoires et des images sans communication qui, de ce fait, transforment toute personne en objet humain.
Déserts a l’observation pour point central, le corps pour objet, le désir comme question. Une série de photographies d’hommes, ou plutôt de corps d’hommes, observés comme au travers d’une vitre (celle de l’écran interposé qui a servi de lieu de rencontre et de prise de vues) mise en parallèle avec de courts textes érotiques ayant pour personnage principal une femme, image-fantôme d’elle-même. La recherche de lien, de beauté, l’envie de susciter le désir, d’entrer en contact, se sont comme noyées dans les failles d’une image idéalisée qui n’arrive plus à s’imposer, menant à cette rencontre impossible entre deux désincarnations. Deux mondes qui lancent une même interrogation désorientée - sommes-nous, seulement, faits de chair?
Le désert est un milieu aride, hostile, nu. Telle une offrande, le corps masculin, sous-idéalisé, est déposé au pied de l’autel. Celui du grand oeil qui scrute les défauts, les détails, les cassures, les salissures. Celles provenant des désirs qui ne savent s’exprimer, ne suggérant qu’une illusion de proximité et d’intimité. Rien ici de trop avantageux: des images floues, des approximations, de l’imperfectiblement humain. Pas le moindre cri de détresse - tout se passe en un huis-clos convenu. Déserts est une boîte d’observation où des hommes s’exposent par écran interposé, où une unique femme s’envisage comme une image-fantôme d’elle-même. Le désert est un révélateur et un lieu où se perdre.