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Sans titre, afzélia, h:160 cm
Bois et dessins
Gérald Dederen
Sculpture
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Sans titre, afzélia, h:160 cm
Vue de l'exposition
Vue de l'exposition
Ensemble chez Cérami, afzélia

De la Porte de Trèves à l'Orangerie

En l’espace de cinq saisons d’été un site historique remarquable est devenu un lieu artistique remarqué. Une douzaine d’artistes français, luxembourgeois, belges néerlandophones et francophones de notoriété internationale se sont succédés entre les murs de la Porte de Trêves de Bastogne pour y instaurer un forum de rencontre et d’échange entre l’art d’aujourd’hui et un public de plus en plus large. Plusieurs d’entre eux ont proposé des créations in situ, des installations originales pour ce lieu qui les inspirait par la force de sa simplicité. Peu à peu, le monument avait quitté, par la prescription de l’histoire, sa fonction médiévale de défense pour entamer un périple classique: abandon, restauration et quête d’une attribution culturelle. Par la volonté de ses nouveaux locataires, l’endroit avait enfin trouvé en l’art une destination inattendue: celle d’une véritable agora multiculturelle, avec ce que cela suppose comme questionnement, interpellations et polémiques. Définir ce type de lieu n’est pas aussi simple que de préserver de l’outrage du temps quatre murs et un toit. Il fallait de surcroît lui insuffler une âme, restaurer la circulation des énergies taries entre les vieilles pierres et les êtres humains. Cette fonction communicationnelle reste le propre des artistes.

Cependant l’espace relationnel que crée l’art est du même ordre que la dynamique du vivant. L’action qui sert sa cause se nourrit de l’élargissement, de l’approfondissement de la réflexion, et de l’éventualité d’un renouveau par une rupture féconde. D’où la nécessité parfois d’imaginer un autre lieu... Un autre lieu qui établisse un autre dialogue. Maître d’œuvre de cette architecture sociale, Willy Dory a imaginé cet autre lieu en migrant du bas vers le haut, de la porte basse aux abords de ce qui était jadis la porte haute de la ville.

Durant l’été 2000, les artistes invités ont eux-mêmes assuré cette transhumance, ce basculement du temps et de l’espace. Du changement de millénaire vers un autre lieu, de Patrick Merckaert à Gerald Dederen, nous sommes passés d’un espace virtuel post-moderne et intangible à la matérialité la plus palpable de la sculpture sur bois. Les mots et les images fugitives de Merckaert nous ont aidés à quitter un lieu sur la pointe de pieds pour en investir un autre avec l’assurance conquérante des totems intemporels de Dederen. Georges Fontaine

Gérald Dederen °1957

Il n'est pas toujours aisé de relever la cohérence dans l'œuvre de Gérald Dederen. Elle est pourtant très grande. De prime abord, la coexistence des sculptures sur bois et du travail que l'artiste développe depuis 2005 avec des épingles soudées à l'étain déconcerte. Ainsi, la pièce (sans titre, iroko, 1997) installée par le Musée en Plein Air dans le domaine universitaire du Sart Tilman, a une présence et une solidité qui semblent contredire point par point les caractères des sculptures d'épingles. Pourtant, il s'agit bien de recherches sur les mêmes sujets : le rythme, la vibration, la résonance. L'opposition entre la soudure qui ajoute et la taille qui enlève se résout dans une communion d'attitude : la répétition systématique, voire obsessionnelle, d'un geste simple et précis. On y retrouve encore une même attention à transmettre l'essence des matériaux. Balisant le parcours du visiteur le long du chemin du Blanc Gravier, la grande pièce de bois du Sart Tilman témoigne de la volonté de Dederen d'exprimer « la fluidité, la souplesse, la croissance, la mobilité constante de l'arbre, le passage, la continuité indéfinie ; je matérialise ce mouvement en laissant apparaître le processus de travail [...] ». ...

A côté de ses sculptures, Dederen présente une série de dessins où il développe les mêmes rapports aux matériaux tant dans sa façon de laisser visibles les traces de la mine de plomb que dans le traitement des supports. « En fait, l'instrument dessine sa propre trace. Je le fais avancer en utilisant toutes ses faces et toutes ses possibilités d'empreinte sur le papier. Je cherche aussi à exploiter les possibilités des différents papiers. Sur les supports les plus fins, je mets à profit la transparence pour laisser voir le dessin au dos de la feuille. Certains papiers se compriment sous la pression de la mine ; je relève les traces en creux. Pour moi, le support est un espace avec une matière spécifique ». 

On retiendra la discrétion de ces pièces, leur sensibilité, leur frissonnement. Ici, comme dans toute son oeuvre, Dederen travaille sur des qualités purement plastiques : pas de symbolisme, pas de provocation stratégique, pas de prise de position politique, pas de concept sociologique ou de théorie de la communication. On se rattache à ce que l'abstraction lyrique a de meilleur : la manifestation de ce qui ne peut être exprimé que par les moyens de l'art. On y reconnaîtra encore une volonté de poursuivre, au travers de pratiques traditionnelles, l'exploration de territoires artistiques expérimentaux. Sans posture critique outrancière, Dederen participe à invalider les caprices de l'éphémère goût du jour et les griefs de ceux qui vivent très bien la mort de la sculpture. Pierre Henrion