MASSIF CONTINENTAL, Croiser l’espace
Massif continental, c’est tout d’abord quatre artistes qui se rencontrent et décident de mettre en commun leur travail sous un même label. C’est une association de fait, questionnant les méthodologies de la monstration et du faire valoir dans le champ de l’art contemporain. C’est un packaging, une boite creuse dans laquelle vous pourriez placer Eglantine, Simon, Julie et François, mais pourquoi pas Paul, Françoise et Aurélie? En fait, Massif continental ne leur appartient déjà plus! Et bien que le contenu de la boite puisse être modifiéà souhait, le contenant est quant à lui très défini. Massif continental, c’est un regard sur notre rapport à la nature et à ses artefacts. C’est un outil mis en commun, qui nous questionne sur la perception de la nature, de la manière dont nous la vivons, l’exploitons ou la contemplons. Que ce soit dans notre quotidien ou de façon plus rhétorique et culturelle, il nous interpelle quant à notre appropriation de ses symboles. Autant Massif continental utilise un concept proche du merchandising, de la consommation immédiate et volatile, autant ces quatre artistes sont, par leur pratique respective dans le faire et le vivre. Ils pratiquent l’espace, l’environnement et les codes de l’art contemporain avec aisance, en expérimentant la rencontre, l’échange et la mémoire. Le contraste entre nature et culture est posé. Nous serons moins confrontés à des massifs intenses de conifères ou à un coucher de soleil continental qu’à des propositions d’appréhender notre nature.
Croiser l’espace est la troisième proposition de Massif continental et l’expression de quatre artistes aux identités fortes, autonomes et individuelles.
Eglantine Chaumont 1986, vit et travaille à Liège et farfouille dans ses souvenirs. Qu’en reste-t-il? Où sont les limites d’une fiction rêvée, où sont les réminiscences (les anamnèses) altérées par le temps, altérées par les récits et les fantasmes? A l’aide d’un scalpel, elle incise pièce par pièce les morceaux d’un puzzle, les morceaux de sa mémoire, une maison-cabane ou elle a vécu dans son enfance. Sans vouloir la magnifier, elle en ritualise des bribes sous forme de performances filmées comme des séquences de super 8. Les éléments et le temps agissent sur les résidus d’un souvenir cartonné. Comme une vieille image écornée, le carton se délite, subissant encore le faisceau du projecteur. Comme une boucle sans fin, ou le cycle infini d’un rituel de passage qui se répète dans une tentative de désacralisation. Que faisons-nous de nos cartons de famille? A suivre tout prochainement, dans sa performance intitulée Les sauvages.
Simon Delneuville °1986 vit et travaille à Gesves et nous donne à voir des images méticuleusement peintes. Paysage mathématico-géographique ou image d’Epinal, il dépeint les méthodes de représentation et les codes du peintre de paysage. Non sans humour et dérision, ses paysages sont réalisés à l’aide de coordonnées géographiques obtenues au jeu de dés de manière aléatoire. Résultat: composition d’aplats, dégradés de pixels, code binaire I.0. En parallèle et avec son pinceau 0.I, il s’adonne à des jolités peintes et verniessur bois. Des petites images radieuses d’un artisanat désuet qui rappelle à notre bon souvenir, que nos paysages bucoliques sont entrelardés de centrales électriques, de bassins d’orage et de bretelles d’autoroute. Néanmoins, et au détour d’une promenade, d’un voyage ou de vacances, devant une Bêtise de Cambrai, ou simplement lors d’une exposition, nous céderons volontiers aux charmes de ces jolies petites boites de bois peintes, ces jolités de Spa. D’autre part, si vous avez l’occasion de passer par Bastogne, n’hésitez pas à visiter le parc Elisabeth et franchissez l’échalier de Simon et bondissez au-dessus du 50e parallèle.
Julie Larrouy (F) °1988, vit et travaille à Bruxelles et manipule l’image et la représentation. Nous connaissons tous ces posters géants ou tapisseries de papier qui représentent un cliché de nature dans des appartements et maisons cosy d’une époque révolue. Ici, nous sommes face à un flanc tendre de colline dans l’ombrage feuillu et tapissé de feuilles mortes. Le temps a fait son œuvre et les pigments fatigués rendent l’image plus diaphane et plus romantique qu’au premier jour. Julie intervient à ce moment précis. Elle se réapproprie d’abord l’image, puis à nouveau, elle l’expose à la lumière et au regard. Elle la dénature ensuite, par un jeu de procédés dignes d’une restauratrice de papier, précautionneuse d’entretenir le processus d’altération et le contrôler. Alors que dans un premier temps elle a préservé au mieux l’image allant jusqu’à la ré-encoller sur un support dans un souci de sauvegarde. Elle décide ensuite de l’altérer à nouveau par des déchirements, des superpositions, du collage majoré. Que nous donne-t-elle à voir de ce cliché bucolique, de cette image de nature presque ‘pornographique’ et galvaudée? Il n'en reste que des fragments et des éclats, une nouvelle nature. Nous voici face à une autre image, face à une lecture plus sculpturale, un archétype.
François Winants 1987, vit et travaille entre Bruxelles et Spa et arpente, cultive et consomme la nature. D’un côté, il l’ausculte à l’aide d’instruments qu’il conçoit et qui lui permettent de faire des relevés dans lesquels les paysages et les reliefs empruntés sont coauteurs des résultats obtenus. D’un autre, il utilise la chimie du photographe pour constituer des images-miroirs de phénomènes naturels qu’il a observés. Laborantin, il aime mettre ses mains dans le cambouis et regarder ce qui s’y révèle et s’y développe. Naturaliste, il tente de reproduire des actions naturelles dans le champ de la culture. D’un point de vue rhétorique il pratique une expression du vivant. François nous présente une mise en œuvre complexe qui mène à réflexion tout en contrepied des images-dessins-photographies qui en résultent et qui sont proches de la contemplation, dispensées de sens. Gauthier Pierson
Crossing the 50th parallel, Simon Delneuville
Les promeneurs qui traversent le parc Elisabeth ignorent souvent qu'ils traversent une frontière, une ligne. La ligne du 50e parallèle est un élément d'une grille imaginée par les modernes pour comprendre, organiser et gouverner le monde. C'est une forme symbolique. Sur le 50e parallèle, à l’EST, vous vous trouvez sur le même parallèle que Oulan-Bator, capitale de la Mongolie et de Vancouver sur la côte Ouest du Canada. Vous êtes à 4444 kms du Pôle Nord et à 5556 kms de l’Equateur. Pour franchir une frontière, on peut utiliser un échalier. C'est un dispositif, souvent rudimentaire, permettant d'enjamber une clôture, notamment pour maintenir le tracé d'un chemin public. Placer un échalier sur une ligne qui n'entrave pas la circulation et qui est imperceptible donne à l'objet une dimension sculpturale en même temps qu'une certaine absurdité. C'est l'étonnement suscité qui pousse le passant à remarquer le parallèle. Bien qu'inspiré de formes d'échaliers existants, celui-ci s'en éloigne. Il est imaginé pour faire sentir physiquement le moment du franchissement sans avoir recours à une barrière. Pour cela, il est souple et composé de deux parties, ce qui oblige l'usager à se déséquilibrer légèrement pour passer du nord au sud, ou du sud au nord. Il est imaginé sur un geste, pour rendre conscient ce geste. L'oeuvre s'active quand elle est empruntée. Gauthier Pierson
La saison de l’Orangerie Bastogne 2020, centrée sur la collaboration et l’échange, se termine à travers les mailles de cette satanée pandémie avec Massif Continental. Né de la mise ensemble de quatre artistes, ces derniers ne se définissent pas comme un collectif, mais plutôt comme une initiative curatoriale. Leur questionnement se centre autour d’une thématique commune, à savoir « comment habiter le monde » . Plus précisément, ils renégocient la relation entre la nature et la culture.
Chaque artiste développe sa propre pratique personnelle et est installé dans l’espace à sa manière. A quelques dizaines de mètres de l’Orangerie, « passe » le 50e parallèle, au-dessus duquel Simon Delneuville a placé un échalier, produit en collaboration avec Alexandre Rossignon. Ce dernier est un système de passage en équilibre, hérité de la révolution industrielle, qui permet de passer au-dessus des terres privatisées, entourées de murets, un passage donc entre public et privé. L’échalier, incarne une forme de compromis diplomatique qui prend une ampleur plus générale et ramène ici aux questionnements de l’objectivisation et de la rationalisation du monde par les hommes au-dessus de ce morceaux de quadrillage.
La grande salle accueille un certain nombre de Jolités de Spa de Delneuville. Celles-ci sont réalisées dans le cadre précis des protocoles de qualité, avec un détournement des images romantiques pittoresques pour un reflet plus réaliste du monde tel qu’il est habité aujourd’hui : sapinières de cultures, barrages hydro-électriques, usines d’embouteillages, etc.
Cet espace principal est agréablement perturbé par une longue cimaise, disposée en diagonale, qui ouvre l’espace et qui le dynamise. Cette diagonale mène à l’espace intime et clos d’Eglantine Chaumont. Deux vidéos sont présentées à l’extérieur, derrière un panneau troué de telle sorte que le spectateur doit s’approcher de près pour les regarder. Elles préparent le spectateur à l’expérience de l’environnement personnel et intime de la cabane, une mise en espace de la mémoire de l’enfance de l’artiste. Par essence fragmentée et fragile, cette mémoire se traduit par un fin travail morcelé, en carton exposé à la pluie et parfois à la destruction par le feu lors de performances filmées. A ce propos, une performance est programmée le dimanche 25 octobre à l’Orangerie.
Sur la cimaise diagonale sont aussi mis en relation à les tableaux quasi monochromes de Delneuville travaillés à partir de focus de 1m sur 1m sur Google Earth, ce qui fait d’eux en partie, un paysage ; et les compositions intermédiales de François Winants, travaillées en studio, entre travail pictural grâce à la lumière ou au feu et la photographie. Une photographie présente aussi son dispositif, son instrument d’impression, de dessin indirect, par l’environnement, le climat, la météorologie : un feutre, ainsi qu’un carton sur lequel est fixé un papier sont accrochés aux arbres indépendamment mais se côtoient et s’effleurent, se touchent et s’explorent. La pluie, les gouttes, la sève des arbres viennent altérer de manière imprévisible la surface du papier. C’est une manière, dans son processus créatif, de se distancier de l’action directe tout en laissant l’environnement s’imprégner dans le support. Plusieurs de ces impressions sont accrochées dans la rotonde et, disposées face au travail de Julie Larrouy, constituent une forme de réponse.
Ce dernier se situe davantage sur la question de la ruine, voir à la fausse ruine et au passage du temps sur l’architecture et sur l’image. Julie Larrouy s’est approprié un poster ou un papier peint représentant une forêt, aux couleurs délavées. Cette image se retrouve morcelée à force des transports et de l’arrachement et du décollement des contextes architecturaux, des murs tout simplement. Les morceaux de panneaux de plâtre finissent par faire partie de l’oeuvre, ce qui lui donne un statut hybride entre photographie et sculpture, avec un reliquat architectural. L’artiste joue et contrôle et perpétue ces transferts, cette altération perpétuelle de cette ruine, de cette image devenue sculpture. L’oeuvre se situe au creux de ce contrôle de l’altération et amène un parallèle pertinent avec le travail de Eglantine Chaumont, sur la fragmentation de la mémoire. Hélène Jacques