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Paul Antoine dans son atelier
Peinture
Paul Antoine
Peinture
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Paul Antoine dans son atelier
Vue de l'exposition
Sans titre
Sans titre
Sans titre

Paul Antoine °1922 + 2020

Eloge de la peinture

Refuser l'imagerie facile, stérile. Mais à chacun selon sa faim.

Les doigts s'étonnent quand, tâtant le matériau, ils n'éprouvent qu'une sensation de froid, d'absence. Et l'œil intérieur n'est touché d'aucun rayonnement. Où sont les feux de l'image peinte?

Car la peinture, la vraie, c'est pour autrement vivre. Mieux qu'en lisant le livre ouvert: atteindre les choses en leur texture et âme. Ce n'est ni pain à gagner, ni joie de la pensée. Une allusion pas davantage, ni décor, oh ! surtout pas. Elle ne veut pas dire et non plus révéler. Rien que donner accès, permettre d'entrevoir.

Le sable coulait entre les doigts d'autrefois. Peinture ! Sans elle comment serait-ce, vivre ?   P.A. 1970

Autres considérations sur mon travail (1989)

Depuis longtemps, je trouve dans la nature (c'est-à-dire l'environnement de tous les jours) des formes simples. Des rapports existent, d'une part entre ces formes elles-mêmes, d'autre part entre ces formes et ce qui les entoure. Un monde relationnel est ainsi créé, extrêmement riche de couleurs, de valeurs, de surfaces. Toutefois, les formes de la peinture ne sont pas celles de la nature. Elles naissent sur la surface, sur une surface, et se développent dans un monde imaginaire qui a ses propres lois, sa propre nécessité, sa propre signification. C'est le monde du langage pictural. Il n'empêche, et j'en suis persuadé depuis très longtemps, que c'est seulement la référence à la réalité physique qui permet de donner aux formes de la peinture des structures véritables, ainsi que leur cohérence et finalement leur crédibilité. Et cela quel que soit leur degré d'abstraction. Car référence ne veut pas dire représentation. En fait, le peintre se trouve à un niveau bien supérieur à la représentation. Je partage entièrement cette idée si souvent exprimée, que le peintre doit donner à voir en plus. Et surtout autre chose. C'est la seule justification de la peinture, qui sans cela ne pourrait être qu'un décor.

D'une certaine manière, je crois atteindre presque nécessairement, et tout naturellement, à une véritable symbolique, mais pas à celle-là, davantage allégorique, qui a donné son nom à l'école symboliste.  P.A. 1989

Les formes de la nature

Je dois souligner ceci : ce n'est pas tant le paysage qui m'intéresse, mais la nature, les formes de la nature, la réalité, les choses qui existent. Je vois là un réservoir de formes qui ont en elles, déjà, une vérité relationnelle, une variété, une richesse latente. A partir de cela, il s'agit de faire de la peinture, c'est à dire d'autres images qui ne sont pas nécessairement représentatives de quoi que ce soit, mais qui sont surtout justifiées par elles-mêmes, qui se présentent au lieu de représenter.

Je crois que lorsque je regarde par ma fenêtre, ou lorsque je contemple un paysage, je perçois ce que j'ai sous les yeux exactement comme tout autre spectateur. Mais quand je fais des croquis, que je prends des notes, je ne vois plus le paysage en tant que paysage. Mon regard s'attache à autre chose. Il cherche des éléments qui pourront éventuellement être utilisés pour l'oeuvre à peindre. Des sortes de thèmes picturaux. Mais qu'est-ce qui donne valeur à cette image qui, contrairement à la peinture figurative, ne représente rien? Je viens de le dire, elle se présente. Mais elle se présente chargée d'une poétique particulière, d'un contenu qui ne se révèle que par le langage des formes, des couleurs, des matières, en un mot par le faire pictural. C'est le regard, l'esprit, la sensibilité, l'initiation, qui, seuls, permettent de lire cette image qui devient ainsi un plus pour la conscience humaine. Par la peinture, on accède à un autre monde, comme la musique fait accéder à un autre monde.

Quand on se trouve devant une vraie peinture, on regarde, on ne dit rien, on se laisse envahir par un sentiment inexprimable, par une force qui n'a rien de physique, mais qui est liée à la contemplation.

Mais à quoi bon ressasser tout cela, rien ne change, on a l'impression de parler dans le vide. Comme si la communication ne pouvait se faire. C'est désespérant, tragique.

Je reconnais que ces considérations sont très complexes, très difficiles. Et le peintre ne pourrait-il se tromper sur ses intentions et ses méthodes quand il tente d'expliquer? Paul Antoine, Bruxelles, le 24 janvier 2003