Diplômé de l’université de Virginia Commonwealth en 2005 et de l’université Carnegie Mellon de Pittsburgh en 2008, Christopher Beauregard est un artiste américain né en 1981 sur la base aérienne de Mountain Home, Idaho, et vivant à Bruxelles depuis 2016. Il aborde dans son œuvre la relation entre le travail et les loisirs à travers les aspects inconscients du collectif, de la société et de son époque. Guidé par les évènements qui surgissent dans son quotidien, ses installations combinent des objets sculpturaux, de la photographie et de la vidéo. Il manipule autant notre perception dans la facture des techniques utilisées qu’il ne tronque les codes de ses sources et références nous emmenant vers des environnements apparemment ludiques. Son travail a été exposé à l’international, des Etats-Unis au Liban en passant par le Japon où il a été en résidence artistique pendant 3 mois fin 2019.
Night Soyl :
Building on work first presented at Brasserie Atlas in October of 2022, Christopher Beauregard continues in the use of precisely cast and honed forms to furnish a symbolic lexicon of recurring themes and objects; candles, baguettes, the passage of time. What emerges is a looping narrative with an internal logic that connects the decrottoir* with the collection of night soil*, and arrives at a scatological metaphor for a model of trickle down economics.
To create the title Night Soyl, Beauregard has adopted, then adapted, the titles of two films, Night of the Living Dead (1968) and Soylent Green (1973). The two films depict a world that is pre (but near) apocalyptic; a world at the precipice of societal collapse, undone by cannibalism. One film is the portrayal of late capitalist dysfunction and ecological ruin in the near future, the other, a depiction of the dead rising up as zombie-like creatures to infect the living. Importantly, both films are concerned with and connected by the violation of a taboo; humanity consuming itself. It is a theme that resonates throughout the exhibition - an economy of limitless growth that exacts unlimited sacrifice. Here, Beauregard is interested in the collective assumption of technological progress and the accordant wealth and abundance that it should herald. It is a contradiction that is simultaneously marked by precarity and a qualitative scarcity of time.
The exhibition is populated by recognizable objects that have been cast and reconfigured. Some of the objects present simultaneously speak to the method of their production. The candle, for example, becomes more than an instrument for light and illumination. The candle is a transitional object, rendering the passage of time visible through its very disappearance. Cast in plaster, this passage becomes arrested as wax - either a solid, a liquid or in a state of becoming, is substituted for a material that once cured remains so. The snail too evokes the process of mold making and casting. It is a miraculous creature that both builds and inhabits its shell; a cast form that creates its own mold.
The exhibition culminates in a new video work displayed on an analog 640 x 480 pixel Sony monitor. A musical arrangement accompanies the video but is performed separately, played autonomously on an Arp Axxe synthesizer driven by a 16 note sequencer. The video passes through tableaus populated by snails, a chamber pot and a can- dle. Snails with miniature figures of men in suits affixed to their shells, perform in the video as puppeteers. At other points, a candle functions as a metronome, gently rocking back and forth as it burns from both ends. What unfolds is a three act structure allowing a fictional conversation between Herbert Marcuse and Margaret Thatcher to take place.
*The decrottoir is a curious architectural fixture common to the facades of Brussels. Embedded at the very threshold of buildings, they coincided with the emergence of well heeled pedestrians in a city still propelled by animal labour. Their original function has long been forgotten as the material conditions of the city changed through the decades. Now a sort of vestigial appendage, what remains is an absence, a built form devoid of purpose.
*Night Soil is a historically used euphemism for an economic relation and sometimes agricultural practice, principally enacted before the advent of plumbing and sewage systems. A tidy solution to the disposal of human excreta, workers employed in the trade would empty chamber pots and cart away the contents of privies. On occasion, this material would be passed along to famers, to be used as agricultural fertilizer.
Christopher Beauregard, 2023.
Night Soyl VF :
Pour créer le titre Night Soyl, Beauregard s’est inspiré, puis a adapté, les titres de deux films, Night of the Living Dead (1968) et Soylent Green (1973). Ces deux films dépeignent un monde pré-apocalyptique ; un monde au bord du gouffre de l’effondrement sociétal, miné par le cannibalisme. L’un des films dépeint le dysfonctionnement du capitalisme tardif et la ruine écologique dans un avenir proche, l’autre, les morts se réveillant sous la forme de créatures zombies pour infecter les vivants. Il est important de noter que les deux films abordent la violation d’un tabou : l’humanité se consumant elle-même. C’est un thème qui résonne tout au long de l’exposition - une économie de croissance illimitée qui exige des sacrifices illimités. Beauregard s’intéresse ici à l’hypothèse collective du progrès technologique et à la promesse de richesse et d’abondance qu’elle sous-entend. Il s’agit d’une contradiction marquée à la fois par la précarité et la rareté qualitative du temps.
S’appuyant sur un travail présenté pour la première fois à la Brasserie Atlas à Bruxelles en octobre 2022, Christopher Beauregard poursuit l’utilisation de formes moulées et affinées avec précision pour meubler un lexique symbolique de thèmes et d’objets récurrents : la bougie, la baguette de pain, le passage du temps. Il en ressort une narration en boucle avec une logique interne qui relie le décrottoir* à la collecte de Night Soyl* et aboutit à une métaphore scatologique d’un modèle d’économie de ruissellement.
*Le décrottoir est un curieux élément architectural courant sur les façades de Bruxelles. Placé au seuil même des bâtiments, il coïncide avec l’émergence de piétons aisés dans une ville encore animée par le travail des animaux. Sa fonction originelle a été oubliée depuis longtemps, au fur et à mesure que les conditions matérielles de la ville évoluaient. Devenu une sorte d’appendice vestigial, il n’en reste plus qu’une absence, une forme bâtie dépourvue d’objectif.
*Night Soyl est un euphémisme historiquement utilisé pour désigner une relation économique et parfois une pratique agricole, principalement mise en oeuvre avant l’avènement de la plomberie et des systèmes d’égouts. Les travailleurs employés dans ce métier vidaient les pots de chambre et transportaient le contenu des fosses d’aisance. À l’occasion, ces matières étaient remises aux agriculteurs qui les utilisaient comme engrais.
L’exposition est peuplée d’objets reconnaissables qui ont été moulés et reconfigurés. Certains des objets présents parlent en même temps de leur méthode de production. La bougie, par exemple, devient plus qu’un instrument de lumière et d’éclairage. La bougie est un objet de transition, rendant le passage du temps visible par sa propre disparition. Coulée en plâtre, cette disparition est figée, le matériau substitué étant solidifié une fois durci. L’escargot évoque lui aussi le processus du moulage. C’est une créature miraculeuse qui construit et habite sa coquille, une forme coulée qui crée son propre moule.
L’exposition culmine par une nouvelle oeuvre vidéo présentée sur un moniteur Sony analogique de 640 x 480 pixels. Un arrangement musical accompagne la vidéo mais est joué séparément, de manière autonome sur un synthétiseur Arp Axxe piloté par un séquenceur de 16 notes. La vidéo traverse des tableaux peuplés d’escargots, d’un pot de chambre et d’une bougie. Les escargots, dont la coquille est ornée de figurines d’hommes en costume, jouent dans la vidéo le rôle de marionnettistes. À d’autres moments, une bougie sert de un métronome, se balançant doucement d’avant en arrière tandis qu’elle brûle par les deux bouts. Ce qui s’y déroule est une pièce en trois actes permettant une conversation fictive entre Herbert Marcuse et Margaret Thatcher.
Christopher Beauregard, 2023.
Au sein de l’exposition Night Soyl, Christopher Beauregard nous convie à baisser le regard, avec des installations à même le sol. Au cours de la pandémie, l’artiste américain s’est attardé sur les détails cachés ou négligés des rues bruxelloises, notamment les décrottoirs. Ces formes auparavant quotidiennes, a priori anesthétiques, agissent comme des métaphores du cycle de production de la société. Celle-ci se nourrit et s’alimente grâce à la force de ses déchets devenus engrais, comme un cycle « presque parfait ». Ce cycle fait écho au titre et rappelle une société industrielle ou pré-industrielle.
Cette prise de recul réflexif peut ouvrir à une prise de conscience de la consommation débridée actuelle, où il n’est plus envisageable de parler de cycle.
Christopher a commencé cette réflexion lors d’une résidence au Japon, concentrée sur la gestion de l’eau propre et son partage inégal entre les classes. Bruxelles, son actuel lieu de résidence, n’est pas une exception dans la gestion de l’eau. La Senne commence depuis peu à retrouver un peu d’air libre.
Son titre rassemble deux films aux univers dystopiques de morts-vivants et d’alimentation aux origines douteuses. Avec les fours il parle plutôt de low tech, placés au ras du sol. Les décrottoirs et les pots de chambre deviennent dès lors des fours. Là est la subtilité frictionnelle de Christopher Beauregard. Loin de là son envie de dénoncer la destruction de la planète de manière frontale. Il proposerait ici autre chose, une approche différente, un système parallèle.
Deux sculptures seulement s’élèvent du sol, évoquant la célèbre Colonne sans fin de Brancusi, ici faites de courgettes empilées ou de pots de chambre en un fabuleux trompe-l’oeil. Un tapis moulé est lui par contre présenté en suspension au-dessus d’une plateforme. L’ensemble est baigné dans une musique électronique produite par l’artiste lui-même. Le son relie les deux espaces et crée une atmosphère scénique aux accents dystopiques sans être lugubre.
Le pot de chambre pourrait bien entendu évoquer la fontaine de Duchamp, même si cela n’est pas l’intention de l’artiste. Il n’est reste pas moins un usage et un détournement d’objets usuels répulsifs. Au côté de cette colonne sont accrochés des reliefs, qui rappellent le Bed de Rauschenberg, qui se jouait de la séparation des médiums.
Ce retour au sol appelle à un retour au calme, invite à se poser, à se reposer et à observer ces machines ludiques et symboliques. L’élévation restreinte des sculptures évoque une approche non-moderne ou post-moderne de la sculpture. Sans doute ouvre-t’elle à une réflexion post-industrielle, à unegestion capitaliste ou néo-capitaliste de l’usage des ressources planétaires. Dans le film présenté sur petit écran dans la rotonde, des escargots se déplacent avec sur le dos des marionnettes de grands personnages capitalistes en grande conversation sur le jardin, métaphore puissante du travail de Christopher Beauregard.
Hélène Jacques
Extrait de la vidéo In the garden, 2023