Chaque février, l’Orangerie débute la saison avec « Ah... L’amour ! », une thématique devenue rituelle.
Cette année, Tanja Mosblech y déplie son univers, telle une carte de tendre déclinant du bureau à la rotonde des espaces délicatement modelés où les œuvres entrent en dialogue d’alcôve en alcôve. Univers essentiellement féminin avec son regard de femme sur la femme mais traitant aussi du regard de l’homme dans ce qu’elle lui donne à voir de la femme.
En prélude, ses photos accrochées dans le bureau proposent quelques points de vue sur l’amour : fin filet de ruisseau coulant dans une végétation drue, taches de couleurs enveloppantes, paysages flous et mystérieux, corps épousant étroitement une terre craquelée...
Ensuite la géographie de l’Orangerie s’organise en chambres ayant pour but de contenir de manière spatiale et feutrée le propos intimiste de l’artiste.
Dans la première chambre, deux essaims de petites pièces sont posés au mur et au sol. Familles d’objets glanés sur des marchés puis revisités et réanimés par la poésie de Tanja Mosblech. Se côtoient là des photos anciennes, des figurines de femme en porcelaine, leurs jambes peintes en blanc et leur visage caché par de l’ouate, un carnet de mots doux datant de 1943, un petit pot recueillant ses cheveux coupés... C’est tout l’art de Tanja Mosblech de relier l’ancien à l’actuel avec son empreinte contemporaine exhumant l’essence universelle de chaque objet participant à l’installation. Une touche ou deux de bleu, un visage dissimulé, un feu dans l’âtre, un miroir... Et les murs et les temps de se répondre avec le bouquet d’œillets associé aux jambes roses pointant vers le ciel. Et les murs et les temps de valser dans la première chambre, celle où est peinte la première culotte. La culotte blanche, sans âge, sans histoire et à tout jamais virginale car encore sans corps, sans femme, sans homme. La première culotte élastiquée au ventre et aux cuisses pas encore brodée par l’artiste, pas encore piquée de petits points serrés et colorés, pas encore habitée et incarnée comme toutes les autres dans la vitrine, culottes chargées de vie, de mots, de fleurs, d’oiseaux et de tant d’histoires intimes.
Depuis deux ans, Tanja Mosblech, peintre depuis toujours, s’intéresse à ce petit bout de tissu « à la fois rien et tant » comme elle le dit si simplement. Dans ses peintures, l’énigme de l’autre l’appelle et lui importe plus de traduire un état d’être, une fragilité, une émotion fugitive que de représenter les yeux et le visage d’une femme en particulier. Par delà l’identité lui importe de déceler l’attitude profonde du sujet peint ou qu’elle dégage de photos anciennes. Comme avec la femme de l’affiche, femme au corps plein, au corps charnu de mère, de femme mûre à l’opposé des canons de beauté standardisés. Tanja Mosblech délimite et concentre son propos sur une part capable de révéler toute une densité intérieure. Selon elle, un corps sans visage donnera ce qu’il a à donner, un cadrage du corps aussi. Un vêtement suffira lui aussi à traduire toute une vie profonde et pareillement pour la petite étoffe de la culotte. Ce simple linge de corps, enveloppe couvrant à la fois le lieu de l’origine du monde, de la naissance, de l’amour, du sang des menstruations, des déchets de la digestion l’émeut. L’émeut le corps vivant, le corps dans sa plénitude d’être, le corps marqué par le quotidien et les phases de vie.
L’émeut la chair, la toile de lin achetée à Vienne et sur laquelle elle peint en bleu et noir buste et bas-ventre de femme, encadrés d’oiseaux. Dans la seconde chambre aux cimaises disposées en losange, quelques peintures sont accrochées dévoilant leurs vides et leurs pleins dans les masses de tons apposées dont l’énergie donne le vertige. Certaines de ces pièces racontent en nuées peintes ou au marqueur la rencontre, parfois mystique ou parfois inaccessible.
Le bouquet recouvert d’un voile abonde dans ce sens sacré.
Dans la rotonde, entre terre et ciel, flotte la robe de mariée de l’artiste. Robe qui la suit depuis ce jour de fête. Robe mémoire dont elle rebrode les blancs motifs végétaux pour les ourler et les gonfler de couleurs. Elle crée aussi de discrètes nouvelles corolles, délicates fleurs clitoris et fleurs vagins dansant sur l’ampleur de la jupe. La robe de cérémonie s’est transformée avec le temps. Elle est devenue une robe de vie qui a vu et connu et dont quatre peintures roses l’auréolant sont témoins.
En écho à ce rose, est projeté dans la petite salle, le film « On voit ton string darling ! ». Ce film narre un échange ludique entre Tanja Mosblech et Romain Van Wissen sur fond de culottes. On y revient à ces culottes! Toujours ! Et en riant ! Par touches légères, lourdes, roses et surréalistes...
Une audace nouvelle de Tanja ! Judith Kazmierczak