Helldorado, sur les chemins de l’exil
Plus qu’un passage d’un pays à un autre, c’est une métamorphose personnelle que vivent chaque jour des milliers d’immigrés. Dans son acception contemporaine, le mythe de l’Eldorado incarne encore un espoir. Les représentations inconscientes sont liées à la quête des cités d’or par les conquistadors, les promesses de richesse et d’une vie meilleure résonnent dans tous les esprits. Mais cet Eldorado, dans le contexte international d’aujourd’hui, peut se transformer en Helldorado pour l’immigré, considérant certains pays occidentaux comme des terres d’accueil. Avec la mondialisation et les nouvelles technologies de l’information et de la communication, tout mystère de l’ailleurs est ébranlé. Ces hommes qui entreprennent leur périple sont conscients des dures réalités qui les attendent (voyage infernal, conditions de vie précaire, démarches administratives interminables et l’incertitude qui pèse). Ces voyageurs empruntent des chemins qui mènent à l’exclusion. Helldorado, sur les chemins de l’exil rassemble 11 artistes contemporains dont les oeuvres ouvrent des perspectives sur les réalités actuelles de l’immigration et de l’exil. Au travers de leur propre expérience du voyage et de la migration, ces artistes sont les témoins des transformations majeures liées aux déplacements des populations. Ils éclairent de manière à la fois personnelle et universelle leur expérience de vie, évoquant la complexité de leurs identités multiples. Ils puisent dans cette dualité, dans leurs différentes villes d’attache pour concevoir un travail plastique orienté vers les problématiques de l’identité, du voyage, du déplacement forcé, de l’adaptation. L’exposition ne tend pas à bousculer les idées reçues sur l’immigration, ni à en expliquer tous les tenants et aboutissants.
Les oeuvres sélectionnées évoquent, exposent, réfléchissent et expriment des croyances, pensées et histoires vécues. Depuis le départ, jusqu’au retour d’une immigration réussie, ces oeuvres, elles-mêmes en transit d’une exposition à une autre, reflètent différents contextes de cette thématique et témoignent des tensions liées au déracinement. Gwendoline Cabé-Maury, commissaire de l’exposition
L'exposition
Tel un rite initiatique, le parcours de ces voyageurs se déroule en cinq phases Dispersées dans les espaces d’exposition, les oeuvres reflètent cinq étapes vers l’immigration.
1. Entre rêve et nécessité
Avec Les babouches de 7 lieues, Katia Kameli évoque le premier moyen de transport de l’homme, ses pieds qui supportent son corps. Avant le départ, c’est l’intention qui déclenche le périple. Les babouches personnifient de manière poétique cette aspiration au voyage. A contrario, l’installation de l’artiste Taysir Batniji, Gaza, journal intime #2 à travers des valises remplies de sable, installées comme une fortification militaire, appuie l’idée d’empressement. L’oeuvre traduit les nécessités du départ par des images illustrant les conditions de vie quotidienne de la population avec, en fond sonore, des avions israéliens qui survolent la bande de Gaza.
2. Expédition, voyage et déplacement
L’idée du voyage a plusieurs représentations, de l’onirisme au péril, il est avant tout une temporalité et des lieues. Le monde nomade de Marco Godinho, reprend, à travers une carte du monde physique découpée en 60 bandes, ces notions de temps et de distance.
Avec Les coordonnées de l’inaccessible, Charles Lopez symbolise l’expédition. Les coordonnées GPS indiquent des espaces réels: deux îles inaccessibles. Son travail évoque l’incertitude d’atteindre son but. Le déplacement c’est aussi une échelle de temps et de distance. L’installation Exodus de Barthélemy Toguo reflète une immigration économique qui rythme les déplacements du quotidien.
3. Le passage des frontières
Les frontières, qu’elles soient physiques, naturelles ou allégoriques/personnifiées, opposent des nations et des territoires. Les frontières ne sont plus de simples lieux de passage, mais deviennent des lieux d’exclusion et de conflit par leur militarisation. Le ton est donné avec la performance filmée Barbed Hula de l’artiste israélienne Sigalit Landau. Avec le fil barbelé et la mer, elle rappelle les frontières physiques et naturelles à franchir dans la souffrance et l’endurance. Cette sensation de peine se ressent chez Taysir Baniji et sa série de dessins Transit #2. Celle-ci présente les souvenirs de l’artiste durant ses jours d’attente à la frontière entre l’Egypte et Gaza. Dans une approche plus abstraite mais néanmoins sensible, la frontière est également présente chez Jérôme Basserode. Son oeuvre Tohu bohu, une armoire à la porte mobile, évoque l’idée d’une zone ouverte à franchir, dont les matériaux intérieurs bloquent tout accès, transformant le passage en impasse.
Une oeuvre vidéo fait s’entrecroiser ces trois réalités qu’elle confronte et complète. Reliant espoir et réalité, Harragas de Bruno Boudjelal est la seule oeuvre qui montre de manière directe l’immigration. Le titre de l’oeuvre Harragas désigne “ceux qui brûlent” en arabe nord-africain. Le rêve, le voyage et les frontières sont omniprésents dans les esprits. Des captures vidéo tirées de téléphones portables montrent la traversée de migrants clandestins sur des embarcations de fortune. Ni poétique, ni sociale, cette oeuvre rend compte d’une réalité qui semble insaisissable.
4. L’identité de soi vue par l’autre
Trois oeuvres résonnent ensemble dans cette exposition pour nous parler de l’autre, de l’inconnu, de celui qu’on identifie comme étranger. Elles diffusent un message sur la multiculturalité. C’est par l’installation sonore Everyone is called Mohamed de Younes Baba Ali que commence l’exposition. Le prénom “Mohamed” nous interpelle de l’extérieur et nous invite directement à penser l’identité de cette personne inconnue. Avec l’oeuvre en néon Les autres, Mekhitar Garabedian nous attire vers la lumière. Il soulève à travers le langage les problématiques du migrant, de la condition d’appartenance à un pays et de la construction d’une identité plurielle. L’oeuvre sensible et percutante Forever immigrant met en avant la non-appartenance à un territoire. C’est le statut qu’aime se donner l’artiste Marco Godinho. L’oeuvre témoigne aussi de la stigmatisation par le geste répétitif des tampons qui laisse l’empreinte de ces mots dans l’espace d’exposition.
5. L’intégration
Emigrer c’est vivre une transformation de soi, le voyage n’en est que la première étape. L’intégration est le chemin le plus complexe et le plus long à parcourir. C’est à travers les aspects social, économique, politique, culturel et/ou linguistique que s’opère la métamorphose. Vivre en tant qu’é-immigré, c’est aussi apprendre à être reconnu par l’autre comme différent. Chez Kader Attia, quelques mots Résister c’est rester invisible mettent en lumière une force invisible, celle des hommes cachés dans la clandestinité. Pour l’artiste, la résistance doit être à l’inverse du visible, elle doit se propager dans la vie de tous les jours, être presque inconsciente. A partir d’une fiction créée autour de l’hypothèse selon laquelle on pourrait retourner vers ses racines, l’artiste Katia Kameli, retrace le parcours vers la ville natale de son père, en Algérie. Le film Bledi un scénario possible est un récit de voyage de l’entre-deux, de la mémoire et de la réalité. Sorte de constat conscient d’une double identité, ce périple fonctionne comme une résistance de la mémoire pour ne pas oublier ses origines. Sur cet axe, chez Younes Baba Ali, dans sa vidéo Être et ne pas avoir, l’intégration passe par l’accès au système de protection sociale. Un résident belge explique les stratégies d’accès et liste les défauts du système ainsi que l’argent qu’il peut générer. Cette vidéo fait référence à une nouvelle forme d’immigration appelée familièrement “tourisme social”.
Plus qu’un regard sur l’autre, Helldorado, sur les chemins de l’exil relie histoire, géographie et culture à travers 15 oeuvres qui suscitent un regard poétique, un questionnement économique et sociétal.