2020 bien installé, nous inaugurons la saison en février comme d’habitude sous le thème récurrent Ah..l’amour ! Cette année nous invitons Claudia Radulescu à répondre à notre thématique. L’amour, la rencontre, le partage prolifère dans son travail et dans sa méthode de production. Le/la/les partenaires, son alter ego et qui qu’il soit, sont toujours présents: collaborateur, acteur auteur ou réalisateur. Elle fait avec, elle fait part, et engendre... Autant le processus que la finalité sont essentiels, toujours dans l’interaction, dans le plaisir d’être avec, d’être là, comme saluer son facteur ou entamer un brin de causette avec le cafetier. Allant du quotidien, à l’exceptionnel, en perpétuelle alternance, elle aborde l’objet, l’individu ou l’institution avec cette même légèreté délicate et désinvolte,… l’air de rien. Au sujet de Claudia, Daniel Vander Gught, docteur en sociologie dit: On peut choisir d’habiter le monde ou d’être habitée. Ethnologue de l’intime, spéléologue de nos cristallisations symboliques, sémiologue de nos structures désirantes, Claudia Radulescu retrouve quelque chose de la légèreté éphémère du vol du papillon, capable cependant de déclencher des séismes émotionnels par un simple battement d’ailes. Habiter le monde prend pour elle le sens d’une traversée des émotions que créent les échanges humains en dessinant des motifs aussi intimes que singuliers. Ce sont bien les échanges qui se tissent entre les humains qui bâtissent ces maisons fragiles comme une toile d’araignée, un campement de fortune, une cellule ou un château-fort : des lieux habités. Habiter ne peut se concevoir chez elle que comme un acte habité, quitte à habiter les autres car la vie, après tout, n’est-elle pas faite d’emprunts et de prêts? Claudia Radulescu n’en est pas moins précise et fidèle, elle construit ‘sa ligne’ avec une attention toute particulières aux détails et aux sens. Dans une tension permanente, elle confronte des médiums tout autant à l’état d’ébauche que dans une finition digne des plus grandes maisons de haute couture.
Pour l’Orangerie et en réponse à notre invitation sur la thématique Ah ..l’amour!, Claudia sortit son éventail et un panel d’expériences en la matière ruisselèrent comme d’une montagne enchantée. De la musique au dessin, des mots à l’objet, de récits en aventures, une profusion de mises en exergue se mit à cliqueter. Une fois le protocole entamé, la visite de l’Orangerie et de Bastogne réalisée, la découverte d’un environnement, Unlimited Edition prenait place, lové au coeur de cette nouvelle exposition.
Unlimited Edition, petite plaque rectangulaire en laiton de 5 sur 3 cm, dont les côtés sont légèrement convexes, sur laquelle est gravé JE VEUX VIVRE AVEC TOI, est la pièce principale de Claudia. Objet usuel et slogan universel, Claudia aime présenter cette oeuvre de main à la main, dans un rapport direct à l’autre, dans l’intimité de l’instant. Autour, s’articulent d’autres pièces, existantes ou réactivées pour l’occasion couvrant quinze années de production. Déclaration amoureuse, amulette fétiche ou porte-bonheur, nous ne pouvons nous abstraire de la résonance que ce médaillon suscite avec les « Dog tags », ces plaquettes d’identité que portent les soldats.
Et nous voilà devant le War Museum afin de solliciter une énième rencontre pour Claudia: un nouveau partenaire, une nouvelle collaboration, une nouvelle articulation autour de son travail et pour laquelle le musée avec enthousiasme nous accueille instantanément. Au delà de la commémoration et de la mémoire, légitimement, le musée est aussi un hymne à la vie, au vivre ensemble. Espace sociologique par excellence il entretient notre mémoire commune, c’est un acteur de paix, de résilience et de passation. Voici ce que dit Claudia de la pièce qu’elle propose: Elle est aussi ce ‘reenactment’ de l’adoption de l’autre. De tout temps, la division entre dans nos vies en société. Que nous soyons à vélo ou en voiture, dans nos foyers, entre conquérants et conquis, sorciers ou chamanes, autochtones et migrants, toute forme de bienveillance est nécessaire. L’inscription « Je veux vivre avec toi » exprime le désir de rester unis. En partenariat avec la War Museum et Tempora, son gestionnaire, Unlimited Edition de Claudia Radulescu sera visible dans les salles d’exposition et dans la boutique du musée à partir du 2 mars 2020 pour une période actuellement indéterminée. C’est une édition illimitée, non signée et elle est accompagnée d’un certificat d’authenticité signé de l’artiste ainsi que d’un texte de Jean-Paul Jacquet, historien et critique d’art.
Mais, revenons aux cliquetis et baguenaude à l’Orangerie. Nous y sommes accueillis en extérieur depuis le toit du kiosque par Hymnos, une composition de Michel Hatzigeorgiou et de Claudia, un hymne pour un parc qui murmure à la nature une douce mélodie, tandis que, dans l’espace principal dépouillé, Unlimited Edition scintille aux chants de Conducteur fantôme un duo entre Daan et Claudia. Nous sommes conviés à prendre le temps, celui d’une rencontre, avant de découvrir dans la rotonde une pléthore de lectures amoureuses. Gauthier Pierson
Après de nombreuses explorations sur le dialogue, l’Orangerie poursuit l’aventure à travers la saison 2020 en se concentrant sur les thèmes du partenariat et de la collaboration. L’exposition « Unlimited Edition » ouvre le bal avec Claudia Radulescu, plasticienne, performeuse mais aussi musicienne, chanteuse, et passionnée des relations humaines. L’édition de dog tags gravés de « Je veux vivre avec toi » (Unlimited Edition, 2020) est proposée simultanément au Bastogne War Museum et à l’Orangerie. Avant cela, le visiteur ou le promeneur est accueilli ou accompagné par un Hymne pour le Parc, composé avec Michel Hatzigeorgiou.
Ensemble, Claudia Radulescu et Gauthier Pierson ont rassemblé une série d’objets, de dessins préparatoires devenus oeuvres, vidéos, etc. Ces éléments relatifs à une série de projets forment ainsi une quasi rétrospective de l’oeuvre de l’artiste. Ces projets partent souvent d’un événement ou d’un élément de la vie de l’artiste, à priori insignifiant, d’une rencontre avec une personne, parfois d’éléments biographiques. Ils fleurtent entre art plastique et réalité, ainsi qu’entre performance et autobiographie, même si cela n’est pas volontaire.
Dans l’intimité du bureau, on a parfois peine à sentir que l’exposition commence déjà, mais le premier contact avec le travail de Claudia Radulescu s’y fait et se montre frontal, direct et immédiat, avec sa photographie JTM. Celle-ci est réalisée dans une certaine esthétique de la publicité, appropriée, détournée et certainement moins stérile. L’artiste y est le modèle, pose couchée et tient un panneau sur lequel est inscrit « Je t’aime ». L’oeuvre accroche le spectateur dès les premiers mètres et tente de créer un lien direct et intime avec lui. Le bureau présente aussi la vidéo Tamango qui fait partie d’un vaste projet avec le Musée d’Art Contemporain de Bucarest (MNAC), deux sculpteurs Bors & Ritiu et Marius Nedelcu. Cette collaboration vise à offrir une effigie du musicien Tzigane Tamango, très apprécié en Roumanie, à sa femme. Tamango est bien plus qu’une réalisation d’une sculpture, c’est une activation vivante de l’effigie, avec la complicité de sa femme qui boit le café et fume sa cigarette avec lui le matin. Le transport de cette statue est enregistré dans un style de road trip, contrastant avec l’ambiance muséale de white cube. L’exposition à l’Orangerie est, tout comme ce road trip, une expérience sur un ton rock et décontracté des différents projets de Claudia.
Le spectateur est accueilli ensuite dans la vaste salle avec les sons de Conducteur fantôme, une chanson produite en collaboration avec Daan, qui parle d’amour et sur laquelle dansent lentement les figures de HYPERGARGALESTHESIA. Le spectateur peut tenter d’explorer des positions anti-glamour, anti-sensuelles dans les cercles de feu Ring of Hair, et devenir ainsi complètement acteur. Il est de même invité à dessiner avec sa cigarette sur la silhouette de l’artiste, tracée sur une plaque émaillée et percée de trous. C’est aussi dans cette salle que sont exposés les Unlimited Editions, dans une maquette de divan en forme de dent de vampire. « JE VEUX VIVRE AVEC TOI » est inscrit sur ces dog tags (Unlimited Edition), qui se passent de main en main. Des mots simples, des gestes simples, des relations humaines.
L’exposition change bascule ensuite dans la rotonde emplie de dessins, feuilles de papier maltraitées à la peinture, de dessins préparatoires-devenus-oeuvres, des vidéos et des objets de performances : un masque, une table de massage dorée, une édition de sac arboré d’un vinyle. Le spectateur se retrouve dans ce panthéon, véritable salle au trésor qui regorge de relations interpersonnelles et collaborations qui forment un véritable point de départ à presque tout projet pour Claudia Radulescu. Cette nécessité insatiable de relations sociales constitue un terreau artistique fertile. Elle s’exprime encore à l’extérieur de l’Orangerie avec Incitation à la vie privée, exposant sous forme de néon le numéro de téléphone de l’artiste qui permet de prolonger les relations au-delà de l’exposition.
Hélène Jacques