Ah.. l’amour ! Thème récurrent et connu de tous les habitués de l’Orangerie, c’est l’occasion pour nous d’inaugurer cette nouvelle saison sur un sujet universel et classique de l’histoire de l’art. Cette année, nous proposons une sélection d’oeuvres réalisées par les artistes de la « S » Grand Atelier, sous l’intitulé Baguin et Percémis, selon les termes employés par l’artiste Marcel Schmitz pour désigner les particularités physiques de chaque genre. Nous sommes tous touchés, porteurs et vecteurs de sentiments, qu’il soit question de notre couple, de notre corps ou de nos fantasmes. Cette sélection ravivera, si besoin, le sentiment que l’amour, qu’il soit mental ou physique est toujours chargé d’émotion et de liberté, il est puissant parfois impulsif, en tout cas, capable de nous rendre fous!
La « S » Grand Atelier, centre d’art brut et contemporain a vu le jour sous l’impulsion d’Anne-Françoise Rouche en1992 à Vielsam. Avec son équipe, elle y développe depuis l’accompagnement et la promotion d’artistes porteurs d’un handicap mental. Outre un foyer d’hébergement et une cafétéria, la « S » propose des ateliers de création, des résidences de co-création avec des artistes contemporains, des expositions, et dispose d’une salle de spectacle. La « S » organise différents groupes de travail sur la réflexion et l’intégration par la mixité et la rencontre entre des univers dits « normaux et différenciés ». Bien que totalement ancrée dans le territoire qui l’accueille, la « S » a néanmoins un renom international. En parallèle et quasiment dès le départ, La « S » Grand Atelier a développé une collaboration avec le collectif d’auteurs Frémok, les éditions FRMK, Bruxelles. En 2009, de la plateforme Frémok va naître une collection spécifique intitulée Knock Outsider!, qui accueillera des ouvrages témoins des pratiques mixtes entre artistes contemporains et artistes porteurs d’un handicap mental.
La représentation de l’amour, du sexe ou du corps nu remonte aux origines de l’art – pensons aux innombrables appareils génitaux qui ornaient les grottes paléolithiques. Depuis lors, ces thèmes n’ont jamais cessé de hanter et d’inspirer l’humain. Les créateurs issus de La « S » Grand Atelier – centre d’art et laboratoire artistique pour personnes porteuses d’un handicap mental – ne font pas exception : scènes de la vie intime, femme croqueuse d’hommes, mâle fier de son attribut, formes phalliques ou vulvaires, love stories réelles ou fantasmées…
L’exposition Baguin et Percémis réunit un ensemble de créations qui sont autant de regards singuliers portés sur un sujet universel, des réalisations tendres autant qu’impudiques où espaces publics et privés tendent à se confondre, où l’amour courtois et les désirs charnels débridés s’entrechoquent. La jubilation des corps et la jouissance des formes participent d’une même expérience ; loin d’être un voyeur honteux, le visiteur se mue en spectateur privilégié. Marie-Françoise Rouche
« Baguin et Percémis » sonne comme le chant antique, mais détrompez-vous : il ne s’agit pas ici d’une légende du Péloponnèse ! Quoique …
L’Orangerie nous ouvre la porte à un parcours labyrinthique, habité par les artistes de La « S » Grand Atelier et rythmé par les sons répétitifs de la musique hip hop de The Choolers division. D’une alcôve à une autre, nous sommes entourés de toutes parts et immergés dans différentes représentations du corps et des genres. Cette expérience nous confronte et met en doute nos propres conceptions de la sexualité et de l’érotisme. La relation au corps et entre les corps est ici directe et littérale, intense et obsessionnelle, fascinée et fascinante. Les artistes présentés sont nombreux, mais marquent chacun l’espace de leur présence particulière et singulière. Certains sont caractérisés d’une ligne graphique plus nerveuse du stylo-bille agité et vigoureux, d’autres nous caressent avec la douceur de la laine et du fil, d’autres encore se tournent vers nous avec des couleurs éclatantes et des formes courbes. Enfin, quelques-uns s’approprient des images de la culture populaire ou de l’image de charme. Le diktat esthétique du corps modèle est, sans détours, mis en défaut. Entre vagins, pénis, fesses poitrines, lèvres et bouches, la beauté se réconcilie non pas avec quelque chose de plus pur, mais de plus essentiel. Comme l’évoque Marie-Françoise Rouche, le corps fait l’objet de représentations, digne de l’humain, à travers les millénaires et les cultures. L’errance envoûtante à travers les chairs culmine avec la sirène de Barbara Massart, bien entourée, qui trône dans la rotonde et attend le visiteur égaré. Hélène Jacques