Annick Lizein °1973
Du bonheur stoïque aux petits bonheurs de l'image...
Commençons par un raz-de-marée déluvien, qui ne laisse de la surface que la lisséité d'un flot sans frontière, et par-dessous un monde en fermentation active se révèle lorsque le flot se retire. Du détachement aux passions, de la méditation à la compassion pour les contingences intramondaines, le parcours abrupt d'Annick Lizein l'a menée du monochrome, à la pureté inaccessible, vers les «images du monde», simples, banales et proches, comme les plus belles tragédies. Petites tragédies du quotidien ou petits bonheurs, petites scènes de tous les jours, fictions hollywoodiennes apparaissent un jour sous son pinceau comme une révélation du potentiel dissimulé sous la matière dense du monochrome. L'épiphanie de l'image survient en 1999, lorsque du geste technique pur elle se rend à la vérité événementielle du monde. Sa reddition a tout d'une libération: Annick Lizein a un plein réservoir de vie à déverser dans l'image; ce que le monochrome n'autorisait guère, lui qui est le domaine des vieux maîtres en proie au renoncement stoïcien à l'envie, à la crainte et au déplaisir. Ce surgissement des affects est inauguré avec une scène de jeux d'enfants dans un bassin de jardin, instantané de bonheur familial qui est moins une transition vers la figuration qu'une transaction: un échange entre le savoir et le sentir. Dès lors sa réflexion sur l'image devient le lieu d'un échange permanent, rendant par bribes ce que le monochrome avait englouti: le quotidien (des figures vagues dans des intérieurs pauvres, fixées sur des télés indigentes), l'espace organique avec ses architectures minimalistes dont l'intérieur laisse deviner l'extérieur et vice versa. Ainsi s'initie une théorie de l'échange retenu. Le vide et la solitude supposés de ses espaces architecturaux ne sont en fait qu'un espace laissé libre aux silences d'alcôves et aux transactions discrètes, comme les cloisons amovibles des maisons japonaises. Ses espaces discrets, au sens de discontinus, opposé au concret-continu, sont rythmés par des géométries rigoureuses, comme autant de filtres derrière lesquels la réalité est déployée à la manière d'un impressionnisme plus psychologique que visuel, rappelant les natures mortes d'un Morandi ou d'un Pirenne. La filtration du réel est accentuée par les dominantes bleu-gris, les teintes crème, et les taches roses, toujours présentes et décalées par rapport à la perception ordinaire. Il n'y a pourtant pas d'intention trompeuse. Dans ses cadrages et ses sujets transparaissent les choix du cinéma contemporain, ceux du manifeste Dogma 95 de Von Trier et Vinterberg, pour qui toute image doit être fabriquée sans artifice, en lumière naturelle, privilégiant l'ici et maintenant, banale et éphémère comme une vue tirée d'un magazine. L'instant est plus important que le tout, donc la mise en scène est secondaire, l'instantané ne montre pas une scène choisie et l'émotion est mise à distance par cette adhésion au réel le plus direct. Personnages absents-présents dans un environnement qui les regarde peu et qui a l'air de se taire, paysages inhabités, solitudes partagées sur fond de crise... voici des réminiscences d' un Edward Hopper donnant le ton au cinéma américain des années 50 et au pop'art. Annick Lizein vient d'entamer une réflexion du même ordre sur l'image d'aujourd'hui, éclatée en tant de dimensions qu'on ne peut plus que l'énoncer, laissant là la prétention de «démontrer» entretenue par la peinture moderne. Enoncer pour remplir le vide...au petit bonheur de l'image. Georges Fontaine