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Sans titre, bois calciné, plomb, bitume, 2002
Expansion sans limite dans un espace clos
Jacqueline Colmant
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Sans titre, bois calciné, plomb, bitume, 2002
Vue de l'exposition
Vue de l'exposition
Vue de l'exposition
Vue de l'exposition

Jacqueline Colmant

Expansion sans limite dans un espace clos

Devant l'homme se dresse sans cesse l'interrogation ultime sur la mort. L'émotion que ressentit un jour Jacqueline Colmant devant les gisants d'une église oubliée n'est pas compassionnelle. Ceux qui gisent là sont moins une image de l'enfermement éternel dans la mort qu'une figure de paix et d'espoir. Dans ce cocon de pierre gît un individu en transformation, où sublimation et évanouissement de la matière n'augurent rien du reflux de l'esprit.

Le vocabulaire est démuni devant gisants et momies. Comment qualifier ceux qui ne sont plus de simples défunts et moins encore des objets? Ils sont des êtres en retraite totale de leur être, ne conservant qu'une apparence sommaire de ce qu'ils étaient, limités par une coque, des bandelettes et le silence, comme autant de viatiques pour leur renaissance. L'embaumement est leur dernier silence, où se perpétue indéfiniment l'illusion que l'embaumé vit en ce monde et dans l'autre. Un même silence dynamique entoure les œuvres de J. Colmant, les isolant du monde comme pour mieux préserver les éruptions de vie qui les habitent. Ce qui entoure, limite et contraint est finalement la condition de la métamorphose, comme l'enseigne l'histoire de la chenille et du papillon. Le silence, gardien et protecteur, enserre l'univers vivant comme la toile enrobe la momie, comme la terre recouvre le grain, comme la gangue de bois calciné renforce l'épieu.

Lorsqu'elle explore la limite des choses (terre, silence, calcination, momie), J. Colmant emporte la vie en germination, et se place sous le signe de la «terre» et du «feu». La terre avec ses connotations d'abri, de protection, de fécondité, qui donne à la fois la vie et la reprend. Le feu, qui lorsqu'il est maîtrisé, renforce, purifie et régénère. Recouvrant ses œuvres, le roofing et le plomb fondus, la calcination du bois ont pour elle une fonction plus symbolique qu'esthétique, qu'il n'est pas question de troquer pour des matières picturales dont l'effet visuel serait équivalent. Opposée au néant sans bornes, la vie paraît bien frêle entre ses limites étroites, biologiquement et éthiquement bornée. Mais aux frontières de ces évidences subsistent les zones floues et opaques qui sont les terres d'élection des philosophes et des artistes. Cette zone de black-out, est comme une peau entre les mondes, une paroi osmotique qui peut tout transformer: le corps en énergie, la matière en esprit. L'artiste opère dans cette zone interstitielle où l'objet compte moins que le projet et l'attitude qui en découle: la «calcination» est l'œuvre-en-soi et non pas un quelconque processus visant à recouvrir le bois. La valeur esthétique, si difficile à cerner, n'est plus ni dans l'objet ni dans le processus, mais dans l'aspect le plus épidermique, le plus ténu de l'œuvre: la gangue, le bandage, la surface du tableau au sens le plus littéral. Dans cet interstice il n'y a plus de différence entre opposés: vie et néant, dedans et dehors, terre et ciel sont semblables, même si on pressent leur séparation imminente. La surface entière des toiles est terrienne et terreuse dans ses pigments. Pourtant un simple coup de pinceau horizontal dégage le ciel d'une terre sans limite, et sur cette ligne de partage des momies humanoïdes semblent chercher leur place en vacillant. Sur cette peau du monde où l'artiste se tient et qu'on peut à peine effleurer, on risque à tout moment de basculer dans l'illimité...avec une angoisse légitime, car c'est aussi la dernière grande terre inconnue de notre esprit. Georges Fontaine