Régis Masson °1971 (F)
L'art entre utopie de l'échange et échange d'utopie
Le réglage est si méticuleux que le rythme est d'une binarité sans faille. Le moteur d'essuie-glaces bien tempéré, du Bach post-industriel, avec des machines folles enfuies du labo, réfugiées chez l'apprenti-sorcier qui les rend autonomes comme des balais magiques.
Régis Masson pratique un art cinétique de récupération, un peu trash, un peu rock, un peu techno... Qu'importe, grâce au rythme, ses machines deviennent des presqu'humains, avec des chaussures, des prothèses et des poches de cathéters qui assurent le groove en stabilisant le tempo. Il semble qu'elles sont mises au monde pour qu'on leur superpose une rythmique, une basse et un soliste. Je voudrais pouvoir mieux les décrire, mais les mots sont impuissants. C'est pourquoi la musique existe. Les associations incongrues d'objets hétéroclites visent, comme tout l'art cinétique depuis les années vingt, à humaniser la machine qui fait peur, à la transformer en machine jouissante et infernale, bafouant la raison industrielle.
L'art cinétique vise un rythme total, visuel, lumineux, sonore. A ce titre, il renvoie à l'univers machinique: à Marcel Duchamp et à sa roue de bicyclette, à dada, à Calder, jusqu'aux machines cybernétiques, au virtuel et aux systèmes numériques complexes.
Son but est toujours d'incorporer l'art à l'environnement par des interactions complexes. Nous croyons que l'homme ne peut plus se penser sans la machine, mais la machine peut-elle se penser sans l'homme, absurdement, au point de n'être utile à rien ni à personne, comme les «machines célibataires» de Duchamp? Impossible. Toute machine qui fonctionne, échange, même si elle n'a aucune utilité économique. Absorber de l'information, sous forme matérielle ou non, et la restituer sous une autre forme: c'est le destin d'une machine, car il est physiquement inconcevable qu'une machine ingère sans rien restituer. Utopies de l'échange, les installations-machines de Régis Masson restituent l'énergie pompée sous forme ludique et musicale, donc communicante et non célibataire. Elles sont interconnectées pour créer un parcours que le spectateur déclenche en passant devant une cellule photo-électrique.
Leurs mouvements engendrent des jeux de lumière et des rythmes répétitifs qui ont un caractère cyclique et obsessionnel, jouissif et apaisant.
Centrée sur la précision des réglages rythmiques et l'idée de processus, sa démarche est très performante au sens machinique, puisque le but de la machine est la répétition du même
et la performance productive. Sauf qu'ici sa condition d'existence n'est pas économique: les éléments sont récupérés parmi des objets voués à la décharge et leur assemblage a une finalité purement désintéressée. C'est une forme d'échange prometteuse, utopique et artistique. Echange d'utopie: lorsque l'économie se détraque, la machine devient humaine et digne de l'amour de Pygmalion pour sa Galatée. Georges Fontaine