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Luxe, calme et volupté, huile sur toile, 21 x 17,5 cm, 2014
Petites histoires et discrétions
Emma Shoring
Peinture
Marie Zolamian
Peinture
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Luxe, calme et volupté, huile sur toile, 21 x 17,5 cm, 2014
Est-Ouest-Sud-Nord, 2017. Huile sur toile marouflée sur panneau, 43 x 31 cm, 2017
Sans titre, Huile sur papier, 46 x  40,3 cm, 2017
Portrait de P.E., huile sur papier, 29,7 x 40,6 cm, 2018

Petites histoires et discrétions- Emma Shoring et Marie Zolamian

Cette année, le programme de la saison se concentre sur les médiums de la peinture et du dessin. Un choix et une mise à l’honneur peu anodins qui méritent réflexion et questionnement. Comment ces médiums ont-ils évolué dans le paradigme de l’art contemporain ? Doit-on percevoir par ce choix une réaction à une certaine vision éclatée de l’art actuel ou au frénétisme de la société aujourd’hui? L’Orangerie nous prouve par cette saison 2019 que ces médiums restent profondément pertinents. Les différents duos d’artistes invités se répondent si bien qu’il peut être difficile de les décerner. La première exposition,Petites histoires et discrétions,présente deux regards sur l’intimité, sur des histoires personnelles, une relation artiste - modèle, des voyages, de l’inconnu, des traces de l’atelier. Le spectateur y découvre différentes couches de sens dans les travaux présentés : réaction aux médias, au journalisme, à l’image et au portrait dans les médias, mais aussi un regard sur un monde multiple, difficile à cerner, impliquant des connexions sociales voire une certaine hybridation socio-culturelle.

Le travail d’Emma Shoring reflète une approche fine et subtile sur ces questionnements, ainsi qu’une réflexion sur les genres, sur les différences entre les hommes et femmes, parfois d’un autre temps peu lointain. Elle s’approprie des images de magazines simulant un monde de bonheur, qui expriment un certain malaise sociétal, de l’hypocrisie, de l’arrogance et soulève les questions de genre. Hommage à Matissedénote un certain regard fin sur les corps des femmes dans une ambiance idyllique de bord de mer. Ces corps sont à ce point esquissés qu’ils en deviennent abstraits, ils se détachent de la personne, de son être, du modèle et devient une forme perdue dans un espace doux et indéfini. Ces corps féminins sont ici réappropriés par une artiste femme. A l’inverse avec Peintures de P.E., Shoring invite un ami à poser dans son atelier. Une nouvelle relation artiste - modèle est alors mise en jeu. Très vite, un écart se crée entre les esquisses en jaune et noir, et le modèle. Ce dernier se transforme ainsi en silhouette anonyme tout comme les femmes de Matisse dans le paysage balnéaire.

Marie Zolamian, quant à elle, explore la mémoire individuelle et collective, fluide et hybride, construite dans un espace-temps multiple. Elle parle d’exil, d’auto-déracinement, d’identité, de tradition, de collectivité. Son travail se situe entre narratif autobiographique et autofiction. Son exploration se base sur de nombreux voyages et explorations. La série Rève part de google street view ou google image et s’élabore comme un voyage imaginé, non loin en Belgique. Il en ressort des images qui témoignent d’une mémoire collective que l’on s’approprie, qui permettent de compléter notre propre mémoire individuelle. Ces différents narratifs se définissent-ils comme un besoin d’appropriation de l’espace habité ? Marie Zolamian présente des objets et des portraits sur fond sombre, sans contexte ni spatialisation, ramenant le motif au plus près du spectateur. Placés en évidence, ces portraits, par leur très grande présence, contrastent très fort avec les silhouettes esquissées de Hommage à Matissede Shoring. Cette absence de contexte serait-elle signe de cette expérimentation de l’auto-déracinement ? Ou d’une volonté d’abstraction de l’objet, vers une expérience plus universelle ?

Le petit format induit une intimité et entraîne une proximité du spectateur à l’œuvre. Un certain nombre des travaux qui semblent relever de la recherche en atelier sont exposés. Cette présentation offre le potentiel d’une perception au plus proche de la création et du processus artistique. Le titre de l’exposition n’annonce pas de suite toutes les couches de significations. L’exposition est à mûrir et à méditer. Le pertinent jeu de dialogue amène une dimension différente aux travaux et à la pratique de chacune. Avec une grande délicatesse et subtilité, les deux artistes présentent un travail profondément actuel, contemporain, engagé dans des questions sociétales. A travers leur pratique et leurs recherches, la peinture et le dessin s’en voient pertinemment actuels.

Hélène Jacques