Daniel Michiels, photographe ardennais depuis les années 80
Le cheminement d’un travail
“Enfant les images pieuses me parlaient d’un ailleurs. Comment retrouver cette lumière qui semblait venir de l’intérieur même des images Comment m’orienter pour approcher une telle plénitude? Plus tard les portraits photographiques m’ont interpellé, j’étais frappé par le regard livide mais présent des protagonistes. La couleur du noir et blanc m’avait conquis, c’était inactuel. L’image qui me révéla le cheminement de mon travail, fut celle du jeune homme au casque de moto posé sur le pilastre de mon escalier. Elle m’indiqua la sente de mon travail et de son territoire..” Propos recueillis par Marc Trivier (mai 2012)
Né à Bruxelles en 1952, Daniel Michiels s’installe à Bérisménil à l’âge de vingt-six ans. Il ne quittera plus ce petit village sur les hauteurs de La Roche-en-Ardenne, et le cadre de la vie rurale deviendra le sujet quasi exclusif de sa démarche créative. Chaque image agit comme un symbole, comme la cristallisation iconique d’un monde à la beauté discrète, sans effets, en même temps que fermé sur lui-même. “L’Ardenne ne se livre pas au premier venu, il faut une clairvoyance sensible pour en percer les indicibles mystères.” Alain D’Hooghe
“Les photographies de Daniel Michiels mènent à la contemplation, au silence et à l’intériorité des êtres et des choses. Pas d’images tonitruantes, pas d’effets spectaculaires ni de constructions grandiloquentes ! Ici est finesse et retenue, sobriété et lenteur, mystère aussi… Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Le propos est intense: il interpelle autant qu’il apaise et qu’il réjouit. En conviant à la méditation et au primordial, l’art de Daniel Michiels est merveilleusement subversif à cette heure de démesure, de célébrité et d’apparence...” Christian Deblanc, septembre 2013
“Depuis trente ans maintenant, Daniel Michiels mène un véritable travail introspectif sur l’Ardenne. Cette terre de légendes barrant la Belgique d’Est en Ouest apporte toute la densité et la profondeur de ses forêts à une terre que l’on a souvent trop tendance à lisser. C’est entre les méandres de l’Ourthe à la jonction de La Roche-en-Ardenne, Nadrin et Maboge que le photographe a développé un regard humble sur ces éclats nostalgiques subsistant sous la canopée ardennaise. Aussi discret que les nuances de ses tirages, Daniel Michiels témoigne de toutes les activités de la forêt. Reliquats d’une période quasi révolue, les forestiers bûcherons, chasseurs, débardeurs et négociants en bois deviennent les Héraults d’un passé évanescent que la brume – souvent présente sur ses images – vient renforcer. Sans tomber dans la mélancolie, ses photographies en noir et blanc dressent un portrait fort et contrasté de l’Ardenne, à l’image des hommes et des paysages qui construisent ses images. Personnage à part entière de la série « Ardenne restante », la forêt révèle discrètement l’activité des hommes. Derrière une sapinière, au milieu d’une clairière ou d’une zone de coupe, le photographe surprend les forestiers comme le promeneur le gibier. La photographie de Daniel Michiels possède la force ambivalente d’être à la fois au plus près de son sujet tout en respectant une distance vitale. .” Julien Libert février 2016
Daniel Michiels, je le connais. Ce qu’il y a de bien avec lui, c’est qu’on a besoin de peu de mots pour décrire l’homme ou pour essayer de parler de ses photographies. Je dirais même que trop parler de lui ou de ses photographies c’est le trahir. Signes iconiques, signes plastiques, formes, valeurs, nuances, affect, percept, concept : à la corbeille ! Le travail de Daniel Michiels n’a pas besoin de mots pour le justifier, c’est sans doute là une de ses forces. Non, il suffit au spectateur de s’accorder une profonde respiration, de fermer les yeux quelques secondes, les rouvrir et regarder. Un simple regard d’enfant suffit. Et, bien sûr: le silence Surtout pas de bruit car le monde qu’il montre, qu’il inscrit, est très loin du monde des apparences, en fait le nôtre. Daniel Michiels, notre homme, notre poète, notre sage, possède cette qualité rare de pouvoir s’immiscer dans ce que j’appelle des «bulles lumineuses». Ce sont de très minces fragments du temps, hors du temps. Il saisit avec son appareil photographique les choses, les paysages, les humains quand ils sont dans un état d’abandon, dans cette infime fraction de seconde où le monde se révèle dans toute son harmonie, juste avant qu’il se rétracte. Le photographe est aux antipodes de la rapidité, car la rapidité distrait de l’essentiel. Loin du bruit, de la vitesse et de l’apparence. En regardant ses photographies, je perçois un état d’apesanteur et une force, une puissance très physique. Et la solitude. La puissance et la solitude du coureur cycliste. Lorsque le cycliste enroule ses braquets, il défie les lois de l’équilibre, sa force est en harmonie avec les paysages qu’il traverse, je précise que ce n’est pas toujours sans douleur et cette douleur participe à l’acte, et à un moment il est «ailleurs». Daniel Michiels a le gabarit d’un grimpeur et sa hargne aussi. Petit, souple, fort. Ses photographies lui ressemblent, il ressemble à ses photographies. Revenons au silence. Lorsque je vais chez Daniel Michiels, je m’installe à la table de la cuisine. Une odeur de gaufres quatre quarts habite l’endroit, Monique, sa compagne, n’est pas loin, le chien ronfle et dans le coin, juste derrière moi, une lumière à la Vermeer éclaire le fameux escalier où il photographie ses fantômes, femmes, enfant, hommes, amis ou pas - peu importe -, bulbes, fleurs, etc. Dehors, ce sont les Ardennes belges, le «terrain de jeu» pour prises de vues et randonnées à vélo. L’escalier craque, Daniel descend avec un paquet sous le bras. Ses images. Il étend une nappe sur la table. Et je regarde. Peu de mots entre nous. Victor Chmara
Cher Daniel,
Je me souviens d’une de tes photos, celle d’une ruche en paille disposée de manière à attirer à l’intérieur les abeilles et notre regard; et je pense à cela parce que cette image est emblématique de ta manière de pratiquer la photographie. je vais essayer d’expliquer. Quand je pense à tes photos, je n’imagine pas un oeil inquisiteur, un moment choisi, une perpective dramatique, des panoramas, des gros plans surprenants, des symboles, non, j’imagine des coins. Chaque photo donne à voir un coin protégeant ce qui a fini par venir s’y nicher. Le coin est normalement caché. Toi seul connais le chemin qui y mène. Ce qui s’y niche peut-être un adolescent, une plante, un arbre en hiver... Tes photos - il me semble - sont prises, non pas pour montrer ou révéler, mais plutôt, pour protéger ce qui peut l’être, dans ce monde balayé sans merci depuis vingt ans par un vent de repli et d’indifférence. Les coins existent dans l’espace - l’on pourrait en établir des plans et les mesurer - mais ils sont aussi métaphoriques: ils offrent - juste par un léger mouvement approbateur de leurs têtes - un abri pour la nuit.
Il y a un autre artiste dont les images sont souvent construites comme des coins et c’est Zurbaran, le peintre des monastères du XVII° siècle espagnol. Il a peint un agneau (symbole du Christ) à côté duquel on pourrait accrocher tes photographies d’agneaux. la manière dont Zurbaran est arrivé à ses coins est une autre histoire que j’ai racontée ailleurs. Et ne te méprends pas sur mon propos. Je ne veux pas faire de toi un photographe de l’église catholique. Dieu m’en garde. Ce que vous avez tous les deux mystérieusement en commun est cette familiarité et ce respect envers et avec ce qui est caché ou clandestin. Les maîtres des cachettes.
Je t’embrasse.
John Bergher